Cristina Muñoz, chargée de projet, nous raconte…
«Don Avilio avait le corps et le visage d’un homme usé par le travail et les soucis. Père de 4 filles, il partageait son toit avec Doralia et sa famille ainsi qu’avec sa femme, Doña Alicia, et sa cadette en situation de handicap.
Don Avilio a travaillé la terre depuis son plus jeune âge. D’abord le café, comme tous dans la région au moment où cette culture est devenue la plus rentable. Don Avilio travaillait avec sa famille. Billy, son beau-fils, l’a initié à la culture de tomates sous serre, à grand renfort de pesticides et d’engrais chimiques.
C’est comme cela que nous l’avons rencontré. Billy nous l’a présenté un jour lors de nos premières expérimentations agricoles à Matituy. Il parlait dans sa barbe et d’un sourire sceptique nous disait ne pas croire en l’agriculture sans chimie. Les risques n’étaient pas insignifiants pour lui qui avait tout risqué en empruntant de l’argent à une banque pour construire sa serre à tomate.
Don Avilio n’était pas riche. Il vivait dans une petite maison en terre cuite, les tuiles à l’ancienne, toit affaissé, presque en ruine quand nous avons quitté la Colombie. Un emprunt à la banque difficile à payer et trois bouches à nourrir au minimum.
Et pourtant, Billy l’entraîna avec lui dans cette expérience périlleuse de l’agroécologie. Lui qui sortant de sa serre après un traitement aux pesticides et sans protections, avait vu la moitié de son corps paralysé pendant plusieurs jours, s’est laissé convaincre par son beau-fils et sa fille en prenant le risque de tout perdre mais de garder la santé.
Il a fait partie de cette aventure depuis le début. Il était le doyen des producteurs de Matituy, le plus expérimenté, le plus fidèle. Malgré plusieurs saisons catastrophiques, il a suivi les conseils de Doralia et Billy. C’était lui, le premier à expérimenter la culture d’aubergines. Je me rappelle toujours la visite qu’il nous en a fait. Les aubergines ressemblaient à des arbres et nous le suivions en essayant d’éviter les épines redoutables de ces plantes presque vivaces sous les tropiques. Il voulait les arracher, nous disait-il, mais sa femme lui avait interdit, et il râlait, comme toujours. Toujours un peu grognon Don Avilio, il n’a pourtant jamais lâché l’affaire. Peut-être comprenait-il qu’il s’agissait de l’avenir de sa famille, et non du sien.
Don Avilio est décédé le 28 août 2023 d’un AVC. Sa famille a dû batailler avec l’administration pour que son opération soit autorisée par l’assurance maladie publique. Triste réalité de l’injustice qui traverse tous les aspects de la vie des personnes à bas revenus en Colombie. L’opération ne lui aura pas sauvé la vie.
Cependant, Don Avilio laisse à sa famille et à La Tulpa le souvenir d’un bon gars, d’un papa aimant, d’un monsieur un peu grognon et pourtant bien déterminé à changer le monde pour ses enfants, engagé pour une cause qui le dépassait peut-être un peu. Je me souviens de derniers mots que nous avons échangé lors d’une réunion un peu tendue avec les membres du groupe local de Matituy. Je suivais cette réunion depuis la Suisse, et avais un peu de peine à comprendre tout ce qui se disait. Un conflit avait émergé dans le groupe et nous essayions d’y remédier. Don Avilio a été le dernier à prendre la parole et en marmonnant il a dit quelque chose que je n’ai pas compris, mais qui m’a été traduit ainsi : « Nous devons arrêter de nous chamailler pour des bêtises et travailler ensemble. Ce n’est qu’ensemble que nous allons construire quelque chose de meilleur. »
Leçon de sagesse d’un grand-père un peu grognon. Hasta luego Don Avilio.