Mes premières expériences en tant que chargée de mission de Lectures Partagées
Je vis avec ma grand-mère Betty et mon fils Samuel dans le village de Cariaco Bajo, dans la municipalité de Consacá. Nous cultivons en famille un petit lopin de terre où nous produisons du poivron, de la laitue, des épinards, des bettes et des oignons. Petit à petit, je suis tombée amoureuse de la production d'aliments exempts de pesticides grâce à la production biologique d’engrais et aux traitement phytosanitaires biologiques préparés de manière artisanale, motivée par la participation à des formations, l'échange de connaissances et les visites partagées.
Mes premières tâches lorsque j'ai rejoint La Tulpa ont été de préparer les paniers de commandes à domicile et de les livrer ; je ne travaillais que le week-end. Après les livraisons à domicile et le contrôle de la comptabilité de ventes, j'aidais au nettoyage du magasin de La Tulpa. J'étais payée pour mes deux jours de travail. Par la suite, on m’a donné d'autres responsabilités telles que le conseil local aux producteurs dans la région de Consacá, le contrôle et le suivi des stocks hebdomadaires, et l'élaboration de l'offre des produits avec mes collègues paysans de la région.
En 2022, grâce à de nombreux sacrifices, à l'engagement et au soutien de ma famille et de mes amis, j'ai obtenu ma licence professionnelle en ingénierie environnementale. Au cours de cette même année, j'ai traversé des difficultés qui auraient pu avoir comme conséquence ma démission de La Tulpa.
Heureusement, fin 2022, lors de la réunion au cours de laquelle je voulais annoncer ma démission et ma décision d'aller travailler comme ingénieure environnementale dans un autre département, mes collègues ainsi que Giulia, la coordinatrice de l'époque, m'ont proposé de prendre en charge la coordination du nouveau projet de Lectures Partagées pour la phase trois : « La Tulpa, une expérience agroécologique et solidaire »… Je ne m'attendais pas vraiment à ce qu'on me propose un tel poste. Ce fut un choc émotionnel. Passer de tâches simples, comme emballer des paniers et faire des livraisons à domicile deux jours par semaine, à gérer une grande mission, celle de coordonner les processus d'une association de paysans et paysannes : que peut-on rêver de plus ?
Avec ce nouveau poste, j'ai eu l'occasion de voyager en avion pour la première fois, avec beaucoup de peur et d'excitation à la fois. Le but de ce voyage à Bogota était de déposer ma signature avec le représentant légal de Saberes Compartidos, Juan Antonio Acosta dans les documents officiels. Depuis, j'ai dû réorganiser ma vie de mère, de petite-fille, de productrice de La Tulpa et de coordinatrice de projet.
Dès le début, il m'a été un peu difficile de savoir que je devrais consacrer la majeure partie de mon temps aux activités dans la ville de Pasto pour suivre le projet, et je craignais que ma grand-mère Betty Bastidas ne se sente un peu seule avec le travail dans le jardin et les soins aux animaux. J'ai également dû demander à ma tante Marcela Moncayo de m'aider avec le travail scolaire de mon fils Samuel.
Normalement, je me rends à Pasto le mardi et je reviens le samedi, je suis attentive aux activités de la semaine pour ajuster les horaires en fonction de ce qui est programmé avec l'équipe et avec les autres producteurs. Dès le début, j'ai su que veiller au bien-être de l'association et aux droits des producteurs exigeait beaucoup de responsabilités et d'engagement. Et cela dépend de la bonne gestion des activités envisagées dans le projet, en coordonnant le travail entre les régions, à travers les groupes locaux et l'équipe technique.
J'ai dû faire face à des moments très difficiles, comme par exemple lorsque l’association a décidé de sanctionner plusieurs producteurs pour la mauvaise qualité des produits à leur arrivée à Pasto ou lorsqu’un membre a été exclu de La Tulpa pour avoir utilisé des produits agrochimiques. J’ai également dû assumer la médiation de nombreux conflits.
J'ai appris à écouter les membres de La Tulpa, lorsqu'ils parlent de leurs difficultés familiales et professionnelles et de leurs besoins quotidiens de production.
D'une manière ou d'une autre, j'ai su gérer les situations en mettant sur la table ce qui se passait, afin que les conditions évoluent de la meilleure façon possible et dans un esprit d'écoute des deux parties, dans le but de générer un équilibre avec chacun des membres. Dès le début de mon mandat, j'ai été claire avec les membres, leur demandant de communiquer toute difficulté ou problème, que ce soit de ma part ou de la part de l'un des producteurs, et de traiter ces situations de manière transparente.
En avril 2023, j'ai participé avec l'équipe technique à un exercice de planification des activités de la troisième phase du projet et j'ai réalisé pour la première fois l'importance de cet exercice et sa relation avec les ressources allouées à la mise en œuvre du projet. À la fin de l'année 2023, la plupart des activités prévues avaient été réalisées.
Au milieu du mois de juillet 2023, j'ai eu un problème de santé qui a un peu déstabilisé mon travail. Alors que j'étais en réunion avec l'équipe de transformation, j'ai appris que le bail de la maison de La Tulpa ne serait pas renouvelé. Cette nouvelle, ajoutée à ma santé défaillante, m'a conduit aux urgences de l'hôpital. Une fois rétablie, nous avons tous commencé à chercher une nouvelle maison pour le magasin afin d'obtenir un espace pour vendre les produits de La Tulpa.
J'ai appris à mettre de côté ma honte et ma peur de parler en public. J'ai appris à me valoriser en tant que paysanne coordinatrice d'un projet et à ne pas me laisser influencer par les gens qui pensent que parce que nous sommes de la campagne, nous ne sommes pas capables de mener nos propres projets.
J'ai réussi à participer en direct à plusieurs émissions de radio dans la ville de Pasto et à participer à des forums et des présentations dans des universités et des réunions internationales. Cela demande beaucoup de temps et d'organisation logistique (logement, transport, nourriture, horaires, agenda).
Savoir écouter mes coéquipières a également été une mission de solidarité. Chaque membre a des situations qui me touchent vraiment et je sais qu'au-delà d'être coordinatrice de ce projet, je suis cette femme qui a grandi avec eux et qui connaît les réalités de chacun d'entre eux, ce qui a conduit à plus de confiance et à se soutenir mutuellement le mieux possible.
J'ai aussi appris à représenter Lectures Partagées, à transmettre des informations à l'assemblée des délégués de La Tulpa, aux groupes locaux, aux femmes transformatrices d'aliments et productrices de poulets, et de façon hebdomadaire informer Lectures Partagées en Suisse, des difficultés, du développement des activités, de la gestion du budget, etc…
C'est une tâche extrêmement vaste qui implique tous les axes associatifs ; et j'ai dû être prête à défendre la vision du projet.
J'ai accompli mon travail dans les meilleures conditions possibles, en pensant toujours au bénéfice de l'association La Tulpa, malgré les tensions, les inquiétudes et les charges émotionnelles auxquelles j'ai dû faire face.
Je continuerai à servir la paysannerie parce que je suis fière d'être paysanne et de pouvoir apporter des changements dans la vie des familles de La Tulpa.
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